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Ep 3 - Grandeur et affaissement des empires

 

La ville de México semble infinie. Où aller ? Que faire ? Il y a trop de possibilités, trop de choix, mais surtout trop de monde. Je ne vais pas le cacher, je ne suis pas un citadin. Vivre à Paris, Londres ou New York ne me fait pas particulièrement rêver. Dans cet épisode, j’explore certains quartiers de la capitale avant de partir découvrir l’ancien empire pré hispanique de Teotohuacán ainsi que Notre-Dame de Guadalupe.

 

 

I. Un dernier tour dans la capitale

Je flâne dans les quartiers bohèmes de la Condesa et de la Roma. Un esprit de contreculture flotte tandis que des fissures parcourant des habitations viennent rappeler le passage récent de séismes destructeurs.

Certaines rues ont un aspect cinématographique. En 2018, le réalisateur mexicain Alfonso Cuarón présente Roma à la Mostra de Venise. Bingo, il repart avec le Lion d’or pour ce film mettant en lumière le quotidien d’une domestique travaillant dans ce quartier au début des années 70.

 
 

En quête d’un peu de calme, je décide de me reposer au parc Chapultepec. Avec une superficie d’environ 700 hectares, ce havre de paix a été élu meilleur parc urbain en 2019 par le World Urban Park. Un classement bidon ? Peut-être. Reste qu’avec ses 170'000 arbres il est considéré comme le plus vieux parc urbain d’Amérique latine et le poumon vert d’une ville sur-polluée.

L’immensité naturelle m’effraie moins que l’immensité bétonnée. Je prends rapidement mes repères dans ce vaste parc. Le long des barrières entourant la Casa del Lago Juan José Arreola, je longe une série d’affiches aux symboles puissants.

« Non à la guerre », peut-on lire sur l’une d’elle reprenant la charte graphique de Coca-Cola. Datant de 2003, l’auteur Andrès Mario Ramirez Cuevas dénonce la guerre en Irak mais également l’ingérence des multinationales dans les cultures indigènes. « Réchauffement climatique », rappelle une autre avec un homme ayant l’apparence d’un glacier qui peine à respirer. Réalisée en 2009, l’auteur appelle à prendre soin de notre environnement, en particulier avec la montée des eaux et l’augmentation des catastrophes naturelles.

Je décide d’aller visiter la Casa del Lago. En pénétrant dans ce lieu culturel, je découvre une exposition photographique consacrée aux migrations récentes sur le continent américain. Si on parle surtout des migrations africaines dans les médias européens, la problématique reste identique outre Atlantique avec des mouvements de populations en Amérique centrale et au Venezuela. Avec un espoir identique : celui de vivre dans un monde meilleur.

Je repense à ce film qui m’avait marqué plus jeune. Sin Nombre. Sayra, une jeune femme du Honduras, souhaite émigrer aux Etats-Unis. Casper, ex-membre d’un gang violent, la « Mara », doit fuir après avoir tué son chef de bande. Ils se rencontrent sur le toit d’un train, le tristement célèbre « Bestia ».

L’entrée du musée national d’anthropologie de México a des airs de soucoupe volante. © DR

L’entrée du musée national d’anthropologie de México a des airs de soucoupe volante. © DR

 
 

México regorge de lieux culturels. La capitale est dans le top 3 des villes comptant le plus de musées. La compétition fait rage entre Paris, New-York et México. Au total, la capitale mexicaine compte plus de 160 musées. Je reste cinq heures au musée national d’anthropologie de México. Pour contempler en profondeur la diversité des œuvres (sculptures, étoffes, bijoux, céramiques) il m’aurait fallu trois jours. Un saut dans le temps à la rencontre des Mayas, des Aztèques, des Zapotèques ou encore des Mixtèques.

 

© Sébastien Roux

 

II. La chute de Teotihuacán

Avant de partir dans l’état de Puebla pour un reportage, je me rends à Teotihuacán, un ancien empire pré hispanique de renom. Le site recèle de mystères. Des archéologues continuent de fouiller pour répondre aux nombreux secrets de cette cité. On ne sait pas grand-chose sur les bâtisseurs qui ont posé les premières pierres en 200 avant J.C. Tout comme on ignore les raisons qui ont mené à leur disparition 900 ans plus tard. Une hypothèse : celle d’un effondrement de l’intérieur du fait d’un fonctionnement profondément inégalitaire. 

On sait par contre que les Aztèques sont arrivés après la disparition des bâtisseurs et qu’ils ont dit (plus ou moins) : « Hop ! On se pose là ». Ils lui donnent le nom de Teotihuacán : « la cité de Dieux » ou « la cité où les hommes sont devenus des Dieux » selon les traductions. Sans pression. Creuser pour ne pas oublier. Creuser pour s’interroger. Si retracer l’histoire fait office de boussole, à nous de savoir comment la lire pour éviter de répéter les mêmes erreurs, inlassablement.

Pour me rendre à Teotihuacán, j’opte pour les transports en commun. Ce n’est pas l’idée d’économiser quelques euros qui me pousse à faire ce choix, plutôt l’esprit de débrouille. Chercher le bus approprié, parler au chauffeur pour être sûr de ne pas aller dans l’autre sens (mon sens de l’orientation n’est pas toujours infaillible). Nous quittons la ville sous les « Quizás, quizás, quizás » d’un artiste reprenant une chanson cubaine mondialement célèbre. Chanter est une pratique courante dans les transports en commun au Mexique : des artistes anonymes offre un moment de partage durant quelques kilomètres.

Devant un feu rouge, ce sont des clowns qui suscitent mon attention avec une série d’acrobaties. Chanteur, clown, le travail informel est monnaie courante dans ce pays pour gagner quelques pièces. Je remarque au cours de mon périple que les Mexicains sont bien souvent plus généreux que les touristes. Ils ont moins à offrir, mais ils offrent quand même.

Dans le bus, je sympathise avec Riquelme, une jeune Chilienne qui termine son voyage le jour suivant. Elle a traversé une partie du Mexique en partant de la péninsule du Yucatan, prisée pour ses plages de rêves. « L’afflux touristique dans cet état a ses effets pervers, me raconte-t-elle. Beaucoup de voyageurs se prennent pour des rois en se souciant davantage à leur image sur les réseaux sociaux qu’à la beauté des lieux et à la magie des rencontres… » En sera-t-il de même pour Teotihuacán ?

Après un trajet d’environ une heure, nous arrivons aux alentours de 11h. Les plus motivés sont venus de bonne heure pour admirer le site en étant (presque) seul. Le survol de montgolfières dans les airs aux aurores ajoute une dimension poétique. Faudra y penser la prochaine fois !

Car à 11h les montgolfières ont disparu mais le soleil de plomb est bien là. Teotihuacán n’offre aucun répit : les endroits ombragés sont une denrée rare, l’eau est vitale, la chaleur suffocante. Devant nous se dresse la pyramide du soleil. La plus ancienne, la plus impressionnante. Une ressemblance frappante avec une pyramide égyptienne ? Pas tellement, celle-ci se termine par une large surface plane où avait lieu les rites du feu. Pour atteindre les 65 mètres de hauteur, les touristes mettent un pied devant l’autre, sur 238 marches.

C’est la cohue, tous à la queue leu-leu. Les gens respirent forts, certains portent des masques, sans doute la psychose du coronavirus (ce que j’ai écrit sur mon carnet de voyage à cette époque…).

Une fois au sommet, tout le monde veut sa photo, de préférence seul au monde. J’observe différentes poses : dos à la caméra, scrutant l’horizon tel un explorateur des temps modernes ; assis, les bras faisant office d’appui pour donner l’impression d’avoir fait un effort intense et d’être dans un moment de relaxation ; les mains en l’air, signe de triomphe avec les yeux rivés sur l’objectif pour montrer sa détermination.

 
 

Je n’échappe pas à cela. Après tout, on souhaite tous gardé une trace de son passage. Je pose devant la pyramide de la lune, mon appareil photo en bandoulière. Au fond de moi je pense à ce travail manuel titanesque pour bâtir cette cité qui aurait compté entre 100’000 et 200'000 habitants à son apogée. Lors de la descente, attention à la marche ! Ça serait bête (et douloureux) de rouler jusqu’en bas.

Une fois descendu, l’Allée des morts se profile à ma droite. Lieu de rassemblement entre les deux pyramides les plus importantes, celle du Soleil et celle de la Lune. Leur emplacement est tout sauf anecdotique : elles sont alignées avec le soleil deux fois dans l’année lors des solstices.

Un spectacle fascinant qui fait venir des milliers de personnes ici ou à Chichén Itzá, un site Maya dans la péninsule du Yucatan. Cette dernière est considérée comme l’une des sept merveilles du monde moderne. Si la pyramide de la Lune est moins grande, ses marches sont plus étroites et plus hautes. L’effort en vaut la chandelle. Le sommet offre une vue dégagée sur le site. Au loin se trouve le temple du Serpent à Plumes considéré comme le Dieu créateur du monde par de nombreuses civilisations mésoaméricaines.

 

© Gaspar Hernandez

 

III. sur les traces de Notre-Dame de Guadalupe

Après avoir arpenté certains quartiers de México et après avoir visité le site de Teotihuácan avec Riquelme, nous regagnons le bus, direction México. Il est plein à craquer, je reste debout une partie du voyage, ça fait partie de l’aventure ! Je regarde une carte, un autre « incontournable » est proche de la gare routière.

Il s’agit de la basilique Notre-Dame-de-Guadalupe, une église au look moderne, presque futuriste, car reconstruite par l’excentrique architecte mexicain Pedro Ramírez Vázquez en 1976. Faut dire que les anciens murs menaçaient de s’effondrer.

À l’intérieur, 10'000 personnes peuvent se réunir. Le chiffre monte à 100'000 lors des gros évènements avec l’utilisation de l’atrium, l’esplanade devant l’église et les différents édifices aux alentours. Une architecture différente de Teotihuacán, mais une ambition similaire. Je suis clairement dans l’un des bastions de la religion catholique. Les fidèles se pressent pour découvrir l’image de la Vierge de Guadalupe, l’une des figures du catholicisme en Amérique latine. Apparue selon la tradition en 1531, elle a été amenée par les conquérants et les évangélisateurs espagnols.

© Drkgk

Un mystère entoure d’ailleurs les yeux de la vierge. Il serait possible de distinguer treize formes humaines dans ses pupilles. La fascination pour la vierge de Guadalupe est telle que certains pèlerins traversent la ville à genoux pour prouver leur foi, terminant en sang après cette épreuve de plusieurs kilomètres…

À l’intérieur, la peinture originale de la vierge a une popularité similaire à la Joconde au Louvre. Le lieu est étroit, tout le monde se bouscule pour la voir. Pour éviter l’engorgement, une solution a été trouvée : deux tapis roulant. Ça a le mérite d’être une idée atypique dans une église. 

Des croyants viennent se recueillir, pleurer, prier, se soumettre complètement à cette autorité religieuse. Il y a quelque chose de fascinant dans cela, mais aussi de terrifiant. Est-ce nos peurs qui nous poussent à croire à l’au-delà ? Ou est-ce la puissance des édifices, des saints et des promesses qui séduisent des millions de personnes ? 

Je n’ai pas la prétention de donner des réponses à ces interrogations. Je n’en sais strictement rien. Je respecte les religions, mais je préfère me détacher d’elles. Question d’éducation, sans doute. Reste que ce lieu a une énergie particulière : il est d’ailleurs le deuxième site catholique le plus visité au monde après la cité du Vatican. Le site ne se limite pas à la simple basilique, nous avons devant nous un véritable Disneyland de la religion.

© Juan Carlos Fonseca Mata

 
 

Le sanctuaire marial de Notre-Dame de Guadalupe regroupe plusieurs bâtiments : la basilique bien sûr, mais également le couvent des Capucines et son église, sans oublier le Templo Expiatorio a Cristo Rey. D’ailleurs ce dernier s’affaisse d’un côté. La raison ? La ville est située sur une zone lacustre composée d’anciens lacs. La terre tremble, le terrain glisse, les hommes ont peur. Le séisme de 1985 est encore dans les mémoires : 10'000 morts, plus de 30'000 blessés et une ville instable.

Est-ce le symbole d’une religion en déclin ? Ou une future tour de Pise qui attirera de nouveaux touristes ? En l’espace de cinq siècles, le Mexique s’est évangélisé, c’est une évidence. Mais selon les dernières estimations, 80% de la population était catholique en 2010 contre 90% en 1990. L’heure est venue pour nous de se retirer. L’état de Puebla m’appelle.


Sébastien Roux

Photo de couverture © Cinthia Aguilar

 

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