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Le chantier de la découverte


 

Ce reportage fait partie d’un projet éditorial visant à mettre en lumière des initiatives inspirantes et des personnes éclairantes qui dynamisent la région Sud et plus particulièrement le département des Alpes de Haute Provence. Mon souhait est de publier dans les prochaines semaines d’autres reportages, portraits et interviews sur différents formats (article web, magazine papier, réseaux sociaux). Une idée de sujet ? Une piste à creuser ? Vous pouvez me contacter par e-mail, Twitter ou Instagram. Merci d’avance et bonne lecture.

 

 

Ce sont des pierres collées les unes aux autres qui donnent aux villages de Provence cette empreinte si particulière du Sud. Un savoir-faire, celui de calader, qui a traversé les époques au son des cigales. Nous sommes le 6 août 2020, au Chemin de la Charreirasse, à Volonne, commune située dans les Alpes de Haute Provence, entre Sisteron et Digne les Bains. Treize bénévoles venus de France, d’Espagne, de Russie et du Mexique terminent un chantier qui aura duré trois semaines. Pierre après pierre, ils ont façonné un nouveau tracé qui s’inscrira autant dans le temps que dans leur mémoire.

Capsule vidéo diffusée en story sur Instagram. © Sébastien Roux

Une alternative aux colonies de vacances

Alors que le confinement provoqué par la pandémie de la Covid-19 a enfermé des millions de personnes au printemps dernier, beaucoup n’avaient qu’une idée en tête à l’approche de l’été : sortir pour se rendre utile. Titouan fait partie de ces personnes. Âgé de 18 ans, sa formation au Cours Florent à Bruxelles s’est stoppée nette, tout comme les potentiels castings qui auraient pu lancer sa carrière d’acteur. Passionné d’histoire, le jeune homme découvre sur le site web Concordia une liste de chantiers de bénévoles en France. Il s’imagine dans les Alpes, sillonnant les Gorges du Verdon à la recherche de morceaux d’ammonites. L’existence d’un chantier de bénévoles à Volonne le pousse à postuler, lui qui n’a pas forcément de compétences techniques mais qui déborde d’énergie et de motivation.

« Cette expérience m’a énormément apporté, résume Titouan à l’issue du chantier. Durant les matinées, j’ai appris à poser des pierres selon une technique d’antan. C’était l’occasion de travailler avec des bénévoles étrangers, d’apprendre de nouvelles expressions et de goûter à des spécialités de leur pays. J’ai moi-même cuisiné un welsh, plat typique du Nord à base de fromage fondu, ajoute-t-il avec un léger sourire. Participer à un chantier de bénévoles est une alternative aux colonies de vacances. En trois semaines, mon budget s’est à peine élevé à 370€, billets de train inclus. »

 
 

Mêler l’utile à l’agréable

Habituellement, ce sont principalement des jeunes âgés de 17 à 23 ans qui postulent à ces chantiers (il en existe aussi à destination des adolescents). Pas cette fois-ci. Aux côtés de Titouan, douze autres bénévoles âgés de 18 à 61 ans ont rythmé la vie en communauté. Au programme : travail de 7h à 13h, du lundi au vendredi ; repas et hébergement collectif dans l’école primaire de Volonne mise à disposition par la mairie ; activités de groupe pour découvrir les beautés du département. Où comment mêler l’utile à l’agréable. Jordi Dupouy, 30 ans, encadrant technique, et Chimène Honnorat, 24 ans, encadrante pédagogique, sont là pour que tout se passe dans les meilleures conditions.

Jordi Dupouy devant le Chemin de la Charreirasse. Les travaux doivent durer six étés. © Sébastien Roux

Jordi Dupouy devant le Chemin de la Charreirasse. Les travaux doivent durer six étés. © Sébastien Roux

Le premier est originaire du Sud-Ouest. Après six chantiers en tant que bénévole en France et en Espagne, ses expériences répétées se sont transformées en travail saisonnier depuis sept ans : « L’osmose du groupe me porte. Travailler de cette façon m’a permis de mieux cerner les réactions humaines. Il y a une prise de responsabilité collective sur les chantiers, on découvre aussi des facettes de soi-même. Et puis il y a ce bonheur de revenir quelques années plus tard en se rappelant qu’on a posé les premières pierres d’une belle histoire », indique-t-il en jetant un œil au travail accompli de ces trois dernières semaines.

De son côté, Chimène est une “enfant du pays”. Elle a eu pour mission de faire découvrir la Provence à travers des activités variées (randonnées, baignades, visites de sites géologiques) tout en gérant le budget total entre les courses et les sorties sur réservation. « Cette année il a fallu aussi prendre en compte les mesures sanitaires avec des désinfections complètes dans l’école, explique-t-elle. Mais ça reste une expérience humaine riche et intense. J’apprécie particulièrement les premiers jours où on apprend à tous se connaitre. On découvre des personnalités atypiques, certaines discussions peuvent durer des heures », ajoute cette étudiante qui termine un Master en archéologie.

 
 

Une ouverture sur d’autres cultures

Les chantiers de bénévoles sont aussi l’occasion d’apprendre de nouvelles langues avec des personnes venues de divers horizons. Egor, 20 ans, est Russe. Il vit en France depuis plus de deux ans, près de Paris où il réalise des études d’architecture. Avec un autre camarade, il a découvert cette expérience grâce à une annonce sur le site de son école : « Ça fait office de stage pour nous. On apprend à gérer les spécificités du lieu, à être sur le terrain, à s’imprégner d’un savoir-faire artisanal d’époque. Là par exemple je termine d’aplanir le sol pour y poser les pierres que j’ai au préalable taillées grâce aux conseils de Jean Cosme, un habitant du département qui vient nous prêter main forte », détaille-t-il en portant tout l’équipement de sécurité nécessaire sous un soleil de plomb.

À quelques mètres, Célia, 24 ans, l’une des quatre hispanophones du groupe, s’occupe de placer du mortier sec (un mélange de sable et de chaux hydraulique) entre les pierres. Une façon de consolider les joints pour résister aux épreuves du temps. Elle s’occupe aussi de l’ambiance en partageant de la cumbia, un genre musical venu de Colombie, grâce à une enceinte portative. « Je viens en France depuis mes 16 ans. Je suis ravie d’échanger en français, espagnol et anglais. On s’ouvre sur d’autres cultures », dit-elle en mentionnant qu’elle est professeure d’anglais le reste de l’année.

 
 

Une association de la région à l’origine du projet

Comment treize bénévoles ont-ils pu se réunir durant trois semaines pour mener à bien ce chantier ? L’Union APARE - CME, une association basée dans le Vaucluse, est à l’origine de ce projet de réhabilitation du patrimoine. Tout au long de l’année, leurs actions visent à favoriser l’émergence d’une conscience éco-citoyenne. Thomas Durand Lalouette, coordinateur de chantier, ajoute quelques précisions : « Après cinq ans de travaux, d’autres bénévoles ont terminé un chantier au Chemin de ronde, quelques mètres plus haut. Avec un savoir-faire similaire, toujours durant l’été et pendant trois semaines. Ces chantiers préservent une technique et un savoir qui font partie du patrimoine de la région. La commune de Volonne s’est engagée à le valoriser en l’intégrant dans son plan de réaménagement. Notre association a mis en place un montage financier ambitieux avec leur soutien et celui de la région PACA. »

Un travail qui porte ses fruits. En France, les chantiers de bénévoles existent depuis 100 ans. Dans la région, 11 associations sont réunies au sein de la CORAC, la Commission régionale des associations de chantiers. Preuve de l’engouement généré, certains bénévoles pensent déjà à revenir l’été prochain pour continuer la réhabilitation du chemin et faire de nouvelles rencontres. Les travaux devraient durer six ans, de quoi prendre le temps de tester de nouvelles activités dans ce département irrésistiblement varié. Avant de se quitter, les bénévoles ont scellé une bouteille de vin remplie de mots sous terre. Le temps va défiler, des archéologues découvriront peut-être une partie de cette belle histoire dans plusieurs décennies.

Sébastien Roux