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Ep 1 - Nous rêvions juste de liberté

 

Souvent réduite à ses resorts et ses cocktails en bord de plage, la République dominicaine cache pourtant bien d’autres trésors à qui prend le temps de l’explorer. Amoureux de cette île depuis l’enfance, j’ai enfourché une petite 150 cm³ locale pour partir à la découverte de ses routes, de sa culture et de ses habitants.

 

 

“Nous rêvions juste de liberté”. À voix haute, je répète ces mots sous une chaleur tropicale. Une phrase simple, courte, percutante. Un hommage au livre de Henri Loevenbruck que tout motard devrait, selon moi, lire au moins une fois dans sa vie. Sur la route puis sur la piste, les kilomètres défilent alors que je longe depuis plusieurs heures la côte Nord de la République Dominicaine. Je rêvais juste de liberté. Celle-ci s’offre désormais à moi.

Cette idée de voyage a germé lors de la lecture du précédent numéro de Road Trip. Plusieurs récits captivants à travers le monde, une seule et même ode à l’exploration. Je voulais à mon tour découvrir une zone avant de la partager avec mes mots et mes photos. Immédiatement, la destination a sonné comme une évidence : ce sera la République Dominicaine et ses plages paradisiaques. Cap vers le “Nouveau Monde”, cette expression employée par le navigateur Amerigo Vespucci pour décrire la découverte par Christophe Colomb de ces terres encore inconnues en Europe.

Un lien si particulier

Nul besoin de traverser l’océan Atlantique en bateau, je suis déjà sur place. Depuis novembre 2024, je vis à nouveau dans ce pays que j’ai découvert pour la première fois à l’âge de quatre ans. À l’époque, mon père, passionné par la planche à voile, nous avait emmené sur cette île des Caraïbes située à quelque 6’000 kilomètres de la France métropolitaine. Avec mes parents, des amis à eux ainsi que ma grande sœur, nous nous sommes installés à Cabarete, un petit village de pêcheurs qui allait progressivement devenir une référence dans la pratique des sports aquatiques.

Après un séjour de dix mois, mes parents sont rentrés vivre en France. La sécurité, la santé et l'éducation étaient les raisons évoquées. Les amis de mes parents, eux, s’y sont durablement installés. Nous y sommes retournés plusieurs fois pour leur rendre visite. À mes quinze ans, j’ai surfé mes premières vagues sur la plage d’Encuentro. Une passion est née, la moto allait bientôt s’y ajouter.

© Justin Taste

À sa majorité, ma sœur est repartie vivre ici avant que je la rejoigne à l’aube de mes vingt ans pour y préparer des concours d’école de journalisme. Une fois mon diplôme décroché, j’ai couvert plusieurs sujets sur l’île d’Hispaniola réunissant la République Dominicaine et Haïti.

La moto des locaux

Novembre 2024, je rencontre ma nièce qui vient tout juste de naître tout en reprenant mes marques à Cabarete. Ayant fait des recherches en amont, j’ai décroché un travail à Parallel Surf, à 10 minutes de route de Cabarete. Pour faire les allers-retours entre Cabarete et Encuentro, mon premier investissement est d’acquérir une moto. Ma sœur connait justement une personne qui souhaite vendre une petite bécane qui patiente depuis quelques semaines dans un garage. Je découvre une nouvelle marque que même internet peine à connaître. Ce n’est pas une Suzuki, ce n’est pas une Ducati, c’est une Sucati!

Pour moins de 440 euros, j’achète une CG 150cc rouge et blanche datant de 2020, équipée d’un moteur monocylindre 4 temps pour une puissance de 12,3 chevaux. Loin d’être une foudre de guerre, c’est un modèle économe (elle consomme environ 1,5 litres/100 km). Mais surtout, c’est une moto qu’on trouve absolument partout sur les routes de République Dominicaine pour la simple et bonne raison que les pièces sont envoyées depuis la Chine et assemblées directement sur place. 

© Sébastien Roux

Des dangers à appréhender

Avant de prendre la route, un check-up s’impose dans un garage. Ici, pas besoin de rendez-vous, il suffit juste d’avoir un peu de chance et d’être prêt à patienter. À l’intérieur, l’ambiance est dominicaine, c’est-à-dire bruyante et désorganisée, mais le travail reste bien fait. Le mécanicien remplace des lumières défectueuses et le klaxon en fin de vie, il ajoute des rétroviseurs et installe des pneus neufs. C’est la première fois que je vais utiliser une moto dans ce pays. En conduisant en direction d’Encuentro, je découvre l’usage du sélecteur de vitesses talon-pointe. Sur la route, pratiquement tous les motards conduisent sans casque (celui-ci reste obligatoire selon la loi dominicaine) ou avec des petits casques en plastique utilisés sur des chantiers. Pas question de négliger ma sécurité, j’opte pour un casque intégral.

Du fait de son gabarit et de son poids (75 kg), ma Sucati CG 150 n’est pas forcément adaptée à de longs trajets. Les premières semaines, je me contente de rouler entre Cabarete et Encuentro. Un trajet aller-retour de 10 kilomètres sur une longue ligne droite. Un trajet n’ayant à première vue aucune difficulté. En réalité, il faut toujours rester sur ses gardes. Nids de poule sur le bord de la route, imposants pick-ups qui doublent en frôlant les motos, non-respect des feux tricolores… La République Dominicaine pâti d’une mauvaise réputation.

L’analyse d’un journaliste du média dominicain El Brifin pour évoquer ce sujet est sans appel : “Quand elle vient d’un pays où le code de la route est respecté, il suffit de regarder le visage d'une personne qui visite notre pays pour comprendre que quelque chose ne va pas. La jungle, comme nous l'appelons tous, est un problème de plus en plus grave. La République Dominicaine a l'un des taux de mortalité routière les plus élevés au monde. En 2024, plus de 3’100 personnes sont mortes dans des accidents de la route. Plus de 60 % étaient des motards. Ce n’est malheureusement pas une coïncidence : seuls 26 % d'entre eux portaient un casque de protection.” À titre de comparaison, la France métropolitaine a publié un bilan de 3’190 décès sur la route en 2024 pour une population presque sept fois plus importante.

© Sébastien Roux

Conscient de cela, je décide tout de même de planifier entre mars et avril 2025 un road trip en plusieurs étapes. Depuis Cabarete, je trace trois axes: un premier vers l'ouest en direction d’Haïti, un second vers le sud et la ville de Santiago, un troisième vers l’est jusqu’à la péninsule de Samaná. En optant pour ces trois itinéraires, je reste dans un périmètre de 200 kilomètres de mon point de départ.

Explorer cette zone du pays me convient totalement, tant je souhaite montrer un autre visage de la République Dominicaine. Quand je parle de ce pays à des amis, beaucoup font l’association avec la station balnéaire de Punta Cana située à l'extrémité orientale du pays. Punta Cana et ses resorts tout inclus. Punta Cana et son tourisme de masse. Disposant à chaque fois de deux ou trois jours de congés, je n’ai ni le temps ni l’envie d’aller jusqu’à Punta Cana. J’aurais aimé retourner en Haïti découvrir les routes autour de Cap-Haïtien mais la situation du pays m’empêche de traverser la frontière. 

 
 

Sébastien Roux

Photo de couverture © Sébastien Roux

 

Épisode 2 - De Puerto Plata à Punta Rucia

Épisode 3 - Les Conquistadors de Santiago

Épisode 4 - Les trésors et les galères de la péninsule de Samaná


Ce carnet de voyage a été publié dans le numéro 88 de Road Trip